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Le blog de la névrosée
29 mars 2020

Dalarna

Quelle époque étrange... On dirait un mauvais film d'horreur et je ne suis pas sûre d'avoir envie de le regarder. Les rues désertes, le silence de mort quand je vais faire des courses, cette impression de transgresser les règles quand je sors, ces gens qui sortent avec des équipements qui feraient pâlir d'envie des infirmiers, ces proches dont je prends des nouvelles un peu plus souvent, cette amie au téléphone alors que nous n'avons pas échangé de vive voix depuis quoi, 6 ans ?, ces nouvelles aux informations qui font froid dans le dos.

Quelle drôle d'époque.

Et comme elle est dure (entre autres, hein) pour les personnes avec une santé mentale bancale. Je n'ai jamais été aussi auto-centrée, je crois. Je peux blâmer le pollen et les allergies qu'il me cause pour justifier mes yeux rouges mais je n'ai jamais été aussi sujette aux crises de panique et aux montées de larmes intempestives.

Avant de rentrer en France, ma psy m'avait dit "lanevrosee, fais-toi une faveur et ne va pas voir ton père". Je me désole déjà de ne pas pouvoir voir sa tête quand je lui dirai que je l'ai bien écoutée et que je suis donc rentrée chez mon père et que je suis confinée avec lui. J'ai hésité jusqu'au dernier jour, je me suis demandée si je devais vraiment monter dans ce train pour commencer à bosser sur mon nouveau poste à Lyon ou si je devais rester ici. Je suis restée ici et je me suis trouvé tout un tas de raisons plus ou moins valables. Mais je regrette, un peu, parfois.

J'avais oublié comment c'était, la vie avec un alcoolique. Pas que cela m'ait manqué particulièrement. J'avais même plutôt eu tendance à mettre autant de distance que possible entre moi et mon père. Mardi, ça fera trois semaines que je suis rentrée. La maison est dans un état pitoyable. J'ai honte de l'écrire mais c'est sale et c'est le chaos. Mon père a acheté une nouvelle cuisine il y a deux ans, quand je suis rentrée en France avant de partir m'installer en Sud-Afriquie. Deux ans après, cher lecteur, chère lecteuse, seulement la moitié de la cuisine est montée. Deux ans après, le frigo est toujours DANS le salon. Deux ans après, le lave-vaisselle n'est toujours pas branché définitivement. Mon père commence des milliards de trucs et ne les finit jamais. Il y a cinq ans, je crois, il a voulu changer les volets des chambres. Il y a toujours un échaffaudage devant la fenêtre de ma chambre, qui n'a donc plus de volets depuis cinq ans. Cela me rend furieuse. Je ne sais pas vraiment pourquoi puisque ce n'est pas ma maison mais je n'arrive pas à comprendre, à concevoir, comment on finit par accepter de vivre dans un chaos pareil. Il a voulu installer un poêle à granulés cet hiver, le truc est dans la cuisine et à 70% prêt mais quand fera-t-il les 30% qui manquent ? Il se plaint toujours d'avoir une douleur ici ou là et de ne pas pouvoir avancer mais pourquoi, bordel, ne paie-t-il pas des artisans pour finir le boulot ? Combien de temps cela va-t-il rester en chantier ? Il attend que mes frères viennent pour l'aider et cela n'arrivera jamais. Mon père n'est pas riche mais sa retraite couvre largement ses frais de vie et il a largement les moyens de payer des artisans. Mais non. D'ailleurs, à part verser de l'argent à mes neveux et nièces tous les mois et à acheter de l'alcool, je me demande bien ce qu'il fout de son fric. Si ça se trouve, il est assis sur une montagne d'argent.

Il me dégoûte. C'est terrible à écrire mais depuis que j'ai lu les récits d'Aprèslaverse sur son père, je n'ai plus envie d'avoir de filtres. Et puis, j'ai déjà tout raconté à ma psy. Je détourne la tête dès qu'il se met en tête de me parler en face parce que je ne supporte plus son haleine. Et c'est encore pire le matin (vu qu'en plus, se laver les dents le soir est accessoire pour lui), je suis sûre que je pourrais vomir. Dès qu'il me parle, j'ai envie de lui sauter à la gorge et je le fais, ce qui rend nos contacts assez compliqués. "Ah mais tu es agressive en fait" - disons que j'ai moyen envie de discuter avec un alcoolique. C'est un enfer. Il est complètement ridicule avec le chien, qui est affreusement obèse. Je suis effarée par la quantité d'alcool qu'il arrive à ingérer tous les jours. J'avais eu un bref espoir lors d'une conversation téléphonique, quand j'étais encore en Sud-Afriquie, où il me disait avoir arrêté de boire du vin. Quel intérêt si tu bois encore plus de Ricard pour compenser ? Je refuse de compter le nombre de bouteilles qu'il consomme chaque semaine. L'autre jour, j'ai ouvert un placard et je me suis rendu compte que c'était LE placard cimetière de bouteilles vides. Je l'ai refermé aussitôt. Je n'ai même plus envie de me battre ou de proposer mon aide. Je l'ai trop fait ces dernières 14 années et ça n'a servi à rien. On ne peut pas aider les gens qui ne veulent pas être aidés. Je dois garder mon énergie pour moi, aussi étrange et égoïste que cela puisse me paraître. J'ai l'impression d'avoir fait tellement de chemin depuis quelques mois, depuis toutes ces années en fait. Et revenir ici à un goût amer de régression. "Rince ton assiette avant de la mettre dans le lave-vaisselle" ou "va falloir faire réchauffer ça avant de le manger" alors que je sors un tupperware du frigo me hérissent. Et le "ha mais tu soutiens Macron, en fait" me donne envie d'hurler. C'est un mélange de tout que je n'arrive pas à analyser clairement (c'est pour ça que je vais être en thérapie pendant longtemps longtemps). Je n'arrive pas à faire la différence entre mon aversion pour son alcoolisme et quoi, mon côté snob ? Les raccourcis qu'il prend me rendent dingues et sans prétendre avoir la science infuse, il y a des choses qu'on ne peut pas penser. Je vais avoir l'air d'une sacrée péteuse mais enfin c'est ainsi, je crois que j'ai aussi tendance à fuir la médiocrité de ma famille... Ca me brise le coeur d'écrire ça mais si je suis un peu honnête avec moi-même, c'est vrai. Et c'est aussi pour ça que j'aurai toujours ce syndrôme de l'imposteur, que je ne serai jamais à ma place nulle part et que j'aurai toujours le cul entre deux chaises. Mais il faudra que je revienne là-dessus.

Et puis, il y a ce nouveau travail, commencé lundi dernier. J'étais censée faire un mois en France, en attendant l'émission de mon nouveau visa de travail, puis retourner en Sud-Afriquie. Evidemment, rien ne se passe comme prévu. Le type censé me former n'a pas le temps de le faire et je me retrouve complètement abandonnée sur le sujet. Je galère comme pas possible et me désespère parce que je me trouve stupide et conne alors qu'en fait, je n'ai pas été formée. Il me donne des trucs à faire et une fois faits, je réalise que ce n'était pas du tout ce qui était attendu. C'est frustrant. J'ai toujours eu ce symptôme de la bonne élève et je ne sais pas comment réagir quand j'échoue. Ca me rend incroyablement triste (alors qu'en fait, je devrais n'en avoir rien à foutre) et je compense en faisant des horaires de dingues (je vais peut-être comprendre par moi-même ? NON). Je n'ai jamais connu cela mais je ressens l'angoisse "d'aller au travail" (même si je bosse depuis chez moi) et je déteste ça. J'ai l'impression d'être lente et débile et que je n'y arriverai jamais. Alors qu'en soit, ce n'est pas si difficile, parfois un peu technique, mais il faut juste qu'on m'explique. Le type me disait "bon faut que tu te lances, soit tu vas faire du crawl dans le grand bassin soit tu restes au bord à faire la brasse, va faire du crawl !". J'ai eu envie de lui répondre qu'avant de faire quoi que ce soit, j'aimerais au moins tester la température de la piscine. J'espère que ça ira mieux cette semaine mais j'angoisse.

Et puis, il y a lui, le Boer. Déjà quasiment trois semaines depuis que je suis partie de Sud-Afriquie. Parfois ça va. Parfois c'est aussi immensément difficile. Quand il ne répond pas à mes messages et que je me dis déjà qu'il s'est lassé de moi. Quand il me dit qu'il se sent mal (c'est aussi le confinement général en Sud-Afriquie depuis vendredi dernier), que ses enfants vont être avec lui pendant 3 semaines (car le gouvernement a décidé que les enfants en garde partagée devaient être gardés par un seul des parents pendant le confinement), que son ex fait du forcing pour les reprendre (alors que c'est INTERDIT et qu'ils risquent la prison clairement) et qu'il répond à mes messages par des messages laconiques. Quand on se téléphone et qu'on se raconte nos vies et qu'on en est clairement à évaluer qui de nous deux à le confinement le plus compliqué et qu'il se plaint qu'il ne pourra pas travailler parce qu'il a trois enfants à occuper et qu'ils sont plein d'énergie, etc, et qu'il commence à me dire "yeah but you, at least, you can XX and YY" et que j'ai envie de lui dire que ses trois gosses ne sont pas arrivés dans sa maison COMME PAR HASARD, hein. Et quand on se téléphone et qu'on est tous les deux tendus et qu'il me dit "well, this isn't about you Gwen" et que j'ai envie de lui dire de changer de ton et que je ne suis pas son psy mais je me rappelle qu'on est tous les deux dans des situations pourries et que je lui manque et qu'il me manque et que s'énerver au téléphone ne va rien changer. Et quand IL me téléphone et qu'entre chacune des phrases qu'il m'adresse, il en adresse 4 en Afrikaans à ses gosses. Et quand IL me téléphone et que je n'entends rien de ce qu'il dit parce que ses enfants hurlent à côté de lui et que je lui dis de me rappeler à un meilleur moment, peut-être, et qu'il me dit qu'il me rappellera et ne le fait jamais. Mais ces accrocs ne sont rien, finalement, en comparaison des moments où je peux l'aider quand il se sent mal et des moments où il m'aide quand j'en ai besoin. Et de ces vidéos et photos qu'il m'envoie et où je les trouve tous si mignons. Et quand on s'appelle en vidéo et que ses enfants me font coucou de la main et c'est tout puisqu'ils ne parlent pas Anglais et que j'apprends l'Afrikaans. "Maybe we should make a list of all the places we want to go to when this shit is over." Pour le moment, on a des endroits à visiter dans la région du Cap (et je me moque toujours du fait qu'il ne soit jamais monté à Table Mountain) et on se disait "pourquoi pas la Suisse en décembre ?". Et j'essaie de me raccrocher à ça.

Bref, en confinement, rien ne change, mon humeur est toujours aussi changeante.

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Commentaires
D
Je suis terriblement impactée ; les cicatrices restent pour toujours et les années perdues ne se rattrapent jamais. Le fait qu'elle ait arrêté a enlevé un poids énorme car la peur de sa mort immédiate a disparu. Mais il restera néanmoins une dépendance affective qui sera toujours là quoi que je fasse.<br /> <br /> J'ai récemment écrit une série d'articles sur la violence que j'ai postés sur mon blog; il me reste le dernier à écrire, celui consacré à ma mère (donc, forcement à sa dépression et à son alcoolisme). Cela va être très dur et les larmes vont couler. Toi qui aimes écrire, cela pourrait peut-être t'aider d'écrire sur le sujet. Pas forcement pour que ce soit lu, mais juste pour toi?
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L
Comment tu fais ? Comment tu arrives à ne pas le laisser t'impacter ? Il va faire des courses de temps en temps, il en achète à ce moment-là. Parfois j'y vais, et il me demande d'en acheter et je ne suis pas assez forte pour lui dire d'aller se faire foutre.
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D
Courage, j'ai connu ça avec ma mère (qui elle, pour parler trivialement vivait dans sa pisse et dans sa merde)... (elle ne boit plus depuis 3 ans mais ça a duré 25 ans)... Tu es ce qu'on appelle une codépendante ; tu subis les dommages collatéraux de l'addiction de ton père. Tes montées de larmes ne sont certainement pas dues au confinement mais ce sont les effets de l'alcoolisme de ton père sur toi (bon après c'est sûr que ça ne doit par arranger les choses cela dit) Mais comment arrive-t-il à se procurer du produit pendant le confinement ??<br /> <br /> <br /> <br /> Courage ++++
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